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Ayla fut d’abord attirée par les représentations de chevaux, bien qu’elles n’aient pas été les premières sur la paroi. Depuis qu’elle avait appris l’existence de ces œuvres d’art pariétal, elle en avait vu de magnifiques, mais jamais rien de pareil à ces chevaux.

Dans cette caverne humide, la surface de la paroi était tendre. Sous l’action des agents chimiques et bactériens dont ni elle ni les artistes n’avaient la moindre idée, la couche superficielle de calcaire s’était décomposée en mondmilch, « lait de lune », un matériau à la texture douce, presque luxueuse, d’un blanc pur. On pouvait le gratter avec presque n’importe quoi, même la main, et le calcaire blanc et dur qui se trouvait dessous formait un support parfait pour dessiner. Les Anciens qui avaient peint ces parois ne l’ignoraient pas et savaient en tirer parti.

Il y avait quatre têtes de cheval peintes en perspective, l’une au-dessus de l’autre ; la paroi avait été soigneusement grattée, ce qui avait permis à l’artiste de montrer les détails et les particularités de chaque animal. La crinière dressée caractéristique, la ligne de la mâchoire, la forme du museau, une bouche ouverte ou fermée, une narine dilatée, tout cela était représenté avec une telle fidélité que les animaux semblaient presque vivants.

Ayla se tourna vers son compagnon pour lui montrer la peinture rupestre.

— Jondalar, regarde ces chevaux ! As-tu jamais rien vu de pareil ? On dirait qu’ils sont vivants.

Debout derrière elle, il l’enlaça de ses bras.

— J’ai déjà vu des beaux chevaux peints sur des parois, mais rien de comparable.

Il s’adressa à la Première :

— Merci de m’avoir emmené avec toi au cours de ce Voyage. S’il n’y avait eu que cela à voir, cela en aurait valu la peine.

Il se retourna vers la paroi.

— Et il n’y a pas que des chevaux. Regardez ces aurochs et ce combat de rhinocéros.

— Je ne crois pas qu’ils se battent, dit Ayla.

— Non, ils font cela aussi avant de partager les Plaisirs, intervint Willamar.

Il regarda la Première et se rendit compte qu’il leur arrivait la même chose. Alors que tous deux étaient déjà venus là, voir les peintures avec les yeux d’Ayla était comme les découvrir. La Gardienne ne put réprimer un sourire suffisant. Elle n’avait pas à préciser : « Je vous l’avais dit. » C’était ce que la fonction de Gardienne avait de plus gratifiant : voir non pas les œuvres elles-mêmes – elle les avait vues maintes fois –, mais la réaction des visiteurs.

— Voulez-vous en voir d’autres ? demanda-t-elle.

Ayla se contenta de la regarder et de sourire, mais c’était le plus charmant sourire que la Gardienne ait jamais vu. Quelle belle femme ! pensa-t-elle. Je comprends qu’elle plaise à Jondalar. Si j’étais un homme, elle me plairait aussi.

Après avoir contemplé les chevaux, Ayla put prendre le temps d’examiner le reste, et il y avait beaucoup à voir. Les trois aurochs à la gauche des chevaux côtoyaient des petits rhinocéros, un cerf et, sous l’affrontement des rhinocéros, un bison. À droite des chevaux s’ouvrait une alcôve trop petite pour que plus d’une personne y entre à la fois. À l’intérieur, il y avait d’autres chevaux, un ours ou peut-être un grand félin, un aurochs et un bison représenté avec une multitude de pattes.

— Regarde ce bison en train de fuir, dit Ayla. Il est vraiment en train de courir et de haleter. Et les lions ! ajouta-t-elle en riant.

— Qu’y a-t-il de si drôle ? demanda Jondalar.

— Tu ne vois pas ces deux lions ? La femelle en chaleur est assise et le mâle est très intéressé, mais pas elle. Ce n’est pas avec lui qu’elle veut partager les Plaisirs, aussi s’est-elle assise sur son arrière-train et ne le laisse-t-elle pas approcher. L’artiste qui les a représentés est si habile qu’on perçoit du dédain dans l’expression de la lionne et, bien que le mâle s’efforce de paraître grand et fort, vois comme il montre les dents. Il sait qu’elle ne le trouve pas à son goût et il a un peu peur d’elle. Comment peut-on arriver à un tel résultat ? À une telle justesse ?

— Comment sais-tu tout cela ? s’enquit la Gardienne.

Personne n’avait encore donné une telle explication, mais la description semblait tout à fait exacte, les deux félins paraissaient effectivement arborer les expressions évoquées par Ayla.

— Lorsque j’ai appris toute seule à chasser, je les ai observés, expliqua-t-elle. Je vivais alors avec le Clan et les femmes du Clan ne chassent pas. Plutôt que de chasser des bêtes à manger, puisque je n’aurais pas pu les ramener et qu’elles auraient été gaspillées, j’ai donc décidé de chasser les carnivores qui volaient notre nourriture. Cela m’a valu de gros ennuis quand on l’a découvert.

La Gardienne avait recommencé à fredonner et Jonokol brodait des harmonies autour de sa ligne mélodique. La Première s’apprêtait à joindre sa voix aux leurs quand Ayla ressortit de l’alcôve.

— C’est les lions que j’ai préférés, dit-elle. Je crois que ce lion frustré ferait comme ça…

Elle se mit à gronder de plus en plus fort, puis laissa échapper un terrible rugissement. Le son se répercuta sur la roche de la caverne jusqu’au bout du passage devant eux et dans la salle au crâne d’ours.

Effrayée et surprise, la Gardienne eut un mouvement de recul.

— Comment fait-elle cela ? demanda-t-elle, incrédule, à la Première et à Willamar.

Ils se bornèrent à hocher la tête.

— Elle continue de nous surprendre, dit Willamar quand Ayla et Jondalar se furent éloignés. Si tu écoutes bien, ce n’est pas si fort que ça en a l’air, mais elle a quand même de la voix !

De l’autre côté de l’alcôve, un panneau était principalement consacré aux rennes, des mâles. Même les rennes femelles possèdent des ramures, mais elles sont petites. Les six rennes représentés sur le panneau arboraient des bois bien développés, avec des andouillers bruns, et incurvés vers l’arrière. Il y avait également un cheval, un bison et un aurochs. Toutes les peintures ne semblaient pas avoir été exécutées par la même personne. Le bison était assez raide et le cheval paraissait grossier, surtout après avoir vu les superbes exemples précédents. Cet artiste-là manquait de talent.

La Gardienne se dirigea vers une ouverture sur la droite menant à un étroit passage qu’il fallait emprunter en file indienne en raison de la forme des parois et des roches suspendues au plafond. Sur le côté droit, un mégacéros, le cerf géant caractérisé par une bosse sur le garrot, une petite tête et un cou sinueux, était intégralement dessiné en rouge. Ayla se demanda pourquoi ces artistes les avaient représentés sans leurs ramures, puisque celles-ci lui semblaient être leur caractère essentiel, et quelle était la fonction de la bosse.

Sur le même panneau, en position verticale, la tête en haut, une ligne esquissait le dos et les deux cornes frontales d’un rhinocéros, avec deux arcs pour les oreilles. Sur le côté gauche de l’entrée, on distinguait la silhouette de la tête et du dos de deux mammouths. Plus à gauche sur la paroi, deux autres rhinocéros faisaient face à des directions opposées. Celui tourné vers la droite était complet. Une large bande noire entourait la partie médiane de son corps, comme c’était le cas de beaucoup d’autres rhinocéros représentés dans cette grotte. Au-dessus de lui, celui tourné vers la gauche était suggéré uniquement par la ligne du dos et les deux petits arcs des oreilles.

Ayla trouva encore plus intéressante la série de foyers le long du passage, qui avaient sans doute servi à produire le charbon de bois utilisé pour dessiner. Les feux avaient noirci les parois voisines. S’agissait-il des foyers des Anciens, des artistes qui avaient si magnifiquement orné cette caverne ? Leur présence leur donnait plus de réalité, celle de personnes et non d’esprits d’un autre monde. Le sol s’inclinait fortement et trois dénivellations brusques d’un mètre coupaient le passage. Le milieu du couloir comportait des gravures faites avec les doigts et non des dessins en noir. Juste avant la deuxième dénivellation, on pouvait voir trois triangles pubiens, avec une fente vulvaire à la pointe tournée vers le bas, deux sur la paroi droite, un sur la gauche.

La Première commençait à être fatiguée, mais elle savait qu’elle ne referait jamais le voyage et que, même si elle l’entreprenait de nouveau, elle ne serait plus capable de parcourir toute la caverne. Jondalar et Jonokol, l’un de chaque côté, l’avaient aidée à franchir les dénivellations et les passages les plus escarpés. Bien que cette marche lui ait été pénible, Ayla remarqua qu’elle ne parlait jamais d’abandonner. À un certain moment, elle l’entendit dire, presque à elle-même, qu’elle ne reverrait jamais cette caverne.

La marche avait certes amélioré sa santé, mais elle était assez bonne guérisseuse pour savoir qu’elle n’était plus en aussi bon état ni aussi vaillante que dans sa jeunesse. Elle était bien décidée à voir cette caverne entièrement pour la dernière fois.

Le dernier panneau du couloir se trouvait juste avant la dernière dénivellation : sur la droite, quatre rhinocéros en partie peints, en partie gravés. L’un était difficile à distinguer, deux assez petits avaient une bande noire autour du ventre et les oreilles typiques. Le dernier était beaucoup plus grand, mais incomplet. Un gros ibex mâle, identifié par ses cornes incurvées en arrière sur presque toute la longueur du corps, était peint en noir sur un pan de roche pendant du plafond au-dessus d’eux. Sur le côté gauche, la paroi avait été grattée afin de préparer la surface pour dessiner plusieurs animaux : six chevaux entiers ou partiels, deux bisons et deux mégacéros, dont l’un complet, deux petits rhinocéros ainsi que plusieurs lignes et marques.

Venait ensuite la déclivité la plus forte : sur quatre mètres se succédaient des terrasses irrégulières formées par l’écoulement de l’eau et des dépressions dans la terre qui tapissait le sol de la caverne, creusé de gros trous d’ours. Jondalar, Jonokol, Willamar et Ayla durent s’y mettre à quatre pour aider la Première à descendre. Il allait être tout aussi difficile de la ramener en haut, mais tous étaient déterminés à lui permettre d’achever la visite. La lumière des torches se reflétait dans les pans de roche suspendus au plafond, dépourvus de toute décoration. La paroi ne présentait que quelques peintures.

La Gardienne se remit à fredonner et la Première joignit sa voix à la sienne, puis Jonokol fit de même. Ayla attendait. Ils se tournèrent d’abord vers la paroi de droite, mais pour une raison qui échappait à Ayla, cela ne résonnait pas bien. Un panneau comportait trois rhinocéros noirs, un avec sa bande noire autour de la partie centrale, un autre seulement esquissé et un troisième dont seule la tête était représentée, trois lions, un ours, une tête de bison et une vulve. Elle avait l’impression que ces dessins racontaient une histoire, peut-être à propos de femmes, et elle aurait aimé la connaître. Ils se tournèrent pour faire face à la paroi de gauche. La caverne renvoyait maintenant l’écho.

De prime abord, le premier pan de la paroi de gauche semblait divisé en trois volets principaux. Pour commencer, trois lions côte à côte, tournés vers la droite, montrés en perspective par la ligne du dos. Le troisième, le plus gros, peint en noir, avait environ deux mètres cinquante de long et la présence du scrotum ne laissait aucun doute sur son sexe. Celui du milieu, dessiné en rouge, était aussi manifestement un mâle. Le plus proche et le plus petit était une femelle. En y regardant de plus près, Ayla eut des doutes. Il n’y avait pas de troisième tête et peut-être la silhouette n’était-elle là que pour la perspective, auquel cas il n’y avait que deux lions. Quoi que simple, le dessin était très expressif. Au-dessus de leur dos, elle distinguait vaguement trois mammouths gravés avec le doigt. Les lions prédominaient dans cette partie de la caverne. À droite des félins étaient représentés un rhinocéros et, à droite de celui-ci, trois autres lions tournés vers la gauche, qui paraissaient regarder les autres lions, puis deux rhinocéros, ce qui donnait un certain équilibre au panneau.

Toutes les peintures de cette partie de la grotte étaient situées à un niveau que l’on pouvait atteindre en étant debout sur le sol, à l’exception d’un mammouth gravé en hauteur sur la paroi. Beaucoup de peintures recouvraient des marques de griffes d’ours, mais il y avait aussi de telles marques par-dessus les peintures. Des ours étaient donc venus là après le départ des humains.

Une niche s’ouvrait au milieu de la partie suivante. Sur sa gauche, des points figurant des lions noirs étaient en surimpression sur des lions rouges à la teinte passée. Venait ensuite une section avec un rhinocéros à cornes multiples, huit en perspective, si bien qu’il semblait y avoir huit animaux, et bien d’autres rhinocéros. À droite de ce panneau, une niche abritait la peinture d’un cheval. Deux rhinocéros noirs et un mammouth étaient peints au-dessus, ainsi que des animaux sortant des profondeurs de la roche, le cheval émergeant de la niche, un gros bison s’échappant d’une fissure, de l’Autre Monde, puis des mammouths et un rhinocéros.

Des lions et des bisons, les premiers pourchassant les seconds, occupaient principalement la section à droite de la niche. Les lions donnaient l’impression d’attendre un signal pour bondir sur les bisons rassemblés en troupeau sur le côté gauche. Ils étaient superbement féroces, tels qu’Ayla les connaissait, le lion des cavernes étant son totem. À ses yeux, c’était la salle la plus spectaculaire de toute la grotte. Il y avait tant à voir qu’elle ne pouvait s’imprégner de tout. Le grand panneau se terminait par une arête, qui formait une sorte de deuxième niche peu profonde où un rhinocéros noir émergeait du Monde des Esprits. De l’autre côté de la niche, un bison était représenté la tête de face, le corps de profil, sur une partie perpendiculaire de la paroi, ce qui produisait un effet saisissant.

Sous le bison, deux têtes de lion et la partie antérieure d’un autre lion tourné vers la droite occupaient une cavité triangulaire. Au-dessus des lions, des traînées rouges figuraient les blessures et le sang coulant de la bouche d’un rhinocéros noir. Au-delà, un large pan de rocher suspendu marquait l’endroit où le plafond descendait jusqu’à être perpendiculaire à la paroi. Trois lions et un autre animal étaient représentés sur sa surface interne, mais visibles de la salle. Juste avant que le plafond commence à s’abaisser, une saillie rocheuse descendant à la verticale se terminait par une pointe arrondie. Ses quatre faces étaient richement décorées.

— Pour comprendre pleinement, il faut tout voir, expliqua la Gardienne en montrant à Ayla l’ensemble de la composition.

Il s’agissait de la partie antérieure d’un bison sur des jambes humaines, au milieu desquelles on distinguait une grande vulve ombrée de noir et fendue d’une ligne gravée verticale à la pointe inférieure, autrement dit le bas d’un corps de femme surmonté d’une tête de bison. Un lion figurait à l’arrière de la roche suspendue.

— La forme de cette roche m’a toujours semblé évoquer l’organe masculin.

— C’est exact, convint Ayla.

— Il y a d’intéressantes peintures dans deux petites salles. Si tu veux, je vais te les montrer.

— Volontiers. Je tiens à en voir le plus possible avant de partir.

— Derrière la roche phallique, tu peux voir trois lions. Et après le rhinocéros blessé, un passage mène à un superbe cheval, expliqua la Gardienne en lui ouvrant le chemin. Et voilà un gros bison, au bout du panneau. Dans cette zone, un gros lion et des petits chevaux. Il est très difficile d’accéder de l’autre côté.

Ayla retourna vers l’entrée de la salle où la Première s’était assise sur un rocher pour se reposer. Les autres n’étaient pas loin.

— Qu’en penses-tu, Ayla ? demanda-t-elle.

— Je suis contente que tu m’aies amenée ici. Je crois que c’est la plus belle caverne que j’aie jamais vue. C’est plus qu’une caverne, mais je ne connais pas les mots pour le dire. Lorsque je vivais avec le Clan, j’ignorais que l’on pouvait représenter ce que l’on voyait dans la réalité.

Elle chercha des yeux Jondalar et sourit en le voyant. Il s’approcha et passa le bras autour de sa taille, comme elle le désirait. Elle avait besoin de partager ses impressions avec lui.

— Lorsque je suis allée habiter avec les Mamutoï, j’ai vu ce que Ranec était capable de faire avec l’ivoire et d’autres avec du cuir, des perles et parfois seulement un bâton pour laisser des marques sur un sol lisse, et cela m’a stupéfiée.

Elle s’arrêta et regarda le sol argileux humide de la caverne. Tous s’étaient rassemblés au même endroit avec leurs torches allumées. La lumière ne se diffusait pas très loin et les animaux peints sur les parois n’étaient que de vagues silhouettes dans la pénombre, comme ceux qui étaient entrevus fugitivement en pleine nature par la plupart des gens.

— Au cours de ce voyage et avant, nous avons vu d’autres peintures et dessins qui étaient beaux et d’autres qui l’étaient moins, mais tout aussi remarquables. Je ne sais pas comment on les exécute et encore moins pourquoi. Je crois qu’ils l’ont été pour plaire à la Mère, et je suis certaine qu’ils ont dû Lui plaire, et peut-être aussi pour raconter Son histoire et d’autres aussi. Peut-être les artistes les exécutent-ils uniquement parce qu’ils en sont capables. Comme Jonokol : il pense à quelque chose à peindre, il s’en croit capable et le fait. Il en va de même quand tu chantes, Zelandoni. La plupart des gens sont plus ou moins capables de chanter, mais personne aussi bien que toi. Lorsque tu chantes, je n’ai qu’une envie, t’écouter. Ça me procure une sensation de bonheur. J’éprouve la même quand je regarde ces cavernes peintes. Et aussi quand Jondalar me regarde avec amour. J’ai l’impression que ceux qui ont fait ces peintures me regardent avec amour.

Elle regarda par terre parce qu’elle refoulait ses larmes. Elle était d’ordinaire capable de se maîtriser, mais cette fois-ci elle y parvenait difficilement.

— Je crois que c’est également ce que doit éprouver la Mère, conclut-elle, ses yeux brillant dans la clarté dansante des torches.

Je sais maintenant pourquoi elle est unie, pensa la Gardienne. Elle sera une Zelandoni remarquable, elle l’est déjà, mais elle ne peut l’être sans lui. Peut-être est-ce cela que la Mère voulait qu’elle soit.

Elle se mit ensuite à fredonner. Jonokol joignit sa voix à la sienne. Son chant faisait toujours apparaître meilleur celui des autres. Willamar s’y mit lui aussi, reprenant l’air par monosyllabes. Sa voix complétait bien leur chant. Puis Jondalar se joignit à eux. Il avait une belle voix, mais ne chantait que lorsque d’autres le faisaient. Ensuite, le chœur résonnant dans la caverne si magnifiquement décorée, Celle Qui Était la Première parmi Ceux Qui Servaient la Grande Terre Mère reprit le Chant de la Mère là où elle s’était arrêtée :

 

Son lumineux ami était prêt à affronter

Le voleur qui gardait captif l’enfant de Son sein.

Ils luttèrent ensemble pour Son fils adoré.

Leurs efforts furent couronnés de succès, la lumière revint.

Sa chaleur réchauffait sa splendeur retrouvée.

 

Les lugubres ténèbres s’accrochaient à l’éclat du fils,

La Mère ripostait, refusait de reculer.

Le tourbillon tirait, Elle ne lâchait pas.

Il n’y avait ni vainqueur ni vaincu.

Elle repoussait l’obscurité, mais Son fils demeurait prisonnier.

 

Quand Elle repoussait le tourbillon et faisait fuir le Chaos,

La lumière de Son fils brillait de plus belle.

Quand Ses forces diminuaient, le néant noir prenait le dessus,

Et l’obscurité revenait à la fin du jour.

Elle sentait la chaleur de Son fils, mais le combat demeurait indécis.

 

La Grande Mère vivait la peine au cœur

Qu’Elle et Son fils soient à jamais séparés.

Se languissant de Son enfant perdu,

Elle puisa une ardeur nouvelle dans Sa force de vie.

Elle ne pouvait se résigner à la perte du fils adoré.

 

Quand Elle fut prête, Ses eaux d’enfantement

Ramenèrent sur la Terre nue une vie verdoyante.

Et Ses larmes, abondamment versées,

Devinrent des gouttes de rosée étincelantes.

Les eaux apportaient la vie, mais Ses pleurs n’étaient pas taris.

 

Ses montagnes se fendirent dans un grondement de tonnerre,

Et par la vaste caverne qui s’ouvrit dans Ses profondeurs,

Elle fut de nouveau mère,

Donnant vie à toutes les créatures de la Terre.

D’autres enfants étaient nés mais la Mère était épuisée.

 

Chaque enfant était différent, certains petits, d’autres démesurés,

Certains marchaient, d’autres volaient, certains nageaient, d’autres rampaient.

Mais chaque forme était parfaite, chaque esprit complet,

Chacun était un modèle qu’on pouvait répéter.

La Mère le voulait, la Terre verte se peuplait.

 

Les oiseaux, les poissons et les autres animaux,

Tous restèrent cette fois auprès de l’Éplorée.

Chacun d’eux vivait où il était né

Et de la Terre Mère partageait l’immensité.

Près d’Elle ils demeuraient, aucun ne s’enfuyait.

 

Ils étaient Ses enfants, ils l’emplissaient de fierté

Mais ils sapaient la force de vie qu’Elle portait en Elle.

Il Lui en restait cependant assez pour une dernière création,

Un enfant qui se rappellerait qui l’avait créé,

Un enfant qui saurait respecter et apprendrait à protéger.

 

La Première Femme naquit adulte et bien formée,

Elle reçut les Dons qu’il fallait pour survivre.

La Vie fut le premier, et comme la Terre Mère

Elle s’éveilla à elle-même en en sachant le prix.

Première Femme était née, première de sa lignée.

 

Vinrent ensuite le Don de Perception, d’apprendre,

Le désir de connaître, le Don de Discernement.

Première Femme reçut le savoir qui l’aiderait à vivre

Et qu’elle transmettrait à ses semblables.

Première Femme saurait comment apprendre, comment croître.

 

La Mère avait presque épuisé Sa force vitale.

Pour transmettre l’Esprit de la Vie,

Elle fit en sorte que tous Ses enfants procréent,

Et Première Femme reçut aussi le Don d’Enfanter.

Mais Première Femme était seule, elle était la seule.

 

La Mère se rappela Sa propre solitude,

L’amour de Son ami, sa présence caressante.

Avec la dernière étincelle, Son travail reprit,

Et, pour partager la vie avec Femme, Elle créa Premier Homme.

La Mère à nouveau donnait, un nouvel être vivait.

 

Femme et Homme la Mère enfanta

Et pour demeure Elle leur donna la Terre,

Ainsi que l’eau, le sol, toute la création,

Pour qu’ils s’en servent avec discernement.

Ils pouvaient en user, jamais en abuser.

 

Aux Enfants de la Terre, la Mère accorda

Le Don de Survivre, puis Elle décida

De leur offrir celui des Plaisirs,

Qui honore la Mère par la joie de l’union.

Les Dons sont mérités quand la Mère est honorée.

 

Satisfaite des deux êtres qu’Elle avait créés,

La Mère leur apprit l’amour et l’affection.

Elle insuffla en eux le désir de s’unir,

Le Don de leurs Plaisirs vint de la Mère.

Avant qu’Elle eût fini, Ses enfants L’aimaient aussi.

Les Enfants de la Terre étaient nés, la Mère pouvait se reposer.

 

Quand ils eurent fini, il se fit un profond silence. Tous sentaient plus que jamais le pouvoir de la Mère et du Chant de la Mère. Ils regardèrent à nouveau les peintures et se rendirent mieux compte que les animaux semblaient sortir des fissures et des ombres de la caverne, comme si la Mère était en train de les créer, leur donnait naissance, les amenait de l’Autre Monde, le Monde des Esprits, Son vaste monde souterrain.

Un bruit leur glaça alors le sang, le vagissement d’un lionceau. Il se mua en l’appel lancé à sa mère par un jeune lion, puis fit place aux premières tentatives de rugir d’un jeune mâle et enfin aux grognements qui précèdent le rugissement à pleins poumons du lion revendiquant ses droits.

— Comment fait-elle ça ? demanda la Gardienne. On dirait un lion aux différentes étapes de sa croissance. Comment sait-elle tout cela ?

— Elle a élevé un lion, s’est occupée de lui pendant qu’il grandissait et lui a appris à chasser avec elle. Elle a rugi avec lui, expliqua Jondalar.

— Elle t’a dit cela ? s’enquit la Gardienne, une ombre de doute dans la voix.

— Oui, en quelque sorte. Il est revenu la voir alors que j’étais en train de me remettre de mes blessures dans sa vallée, mais il n’a pas aimé me voir là et a attaqué. Ayla s’est placée devant lui ; il s’est arrêté net. Ensuite elle s’est roulée par terre et l’a serré dans ses bras, elle est montée sur son dos et l’a chevauché, comme elle fait avec Whinney. Sauf que je ne crois pas qu’il serait allé où elle voulait, mais seulement où il avait envie de la conduire. Il l’a néanmoins ramenée. Je l’ai interrogée et elle m’a expliqué.

Le récit était assez simple pour être convaincant. La Gardienne se borna à hocher la tête.

— Nous devrions allumer de nouvelles torches, dit-elle. Il devrait en rester au moins une pour chacun et j’ai aussi quelques lampes.

— Il vaut mieux attendre d’être tous sortis de ce passage avant de les allumer, fit observer Willamar.

— Oui, tu as raison, dit Jonokol. Veux-tu tenir la mienne ? demanda-t-il à la Gardienne.

Jondalar, Ayla, Willamar et lui hissèrent littéralement la Première en haut des dénivellations les plus fortes, tandis que la Gardienne tenait les torches à bout de bras pour éclairer le chemin. Elle en jeta une presque entièrement consumée dans l’un des foyers alignés le long des parois. Lorsqu’ils arrivèrent aux chevaux peints, chacun prit une torche neuve. La Gardienne éteignit celles qui étaient déjà en partie brûlées et les remit sur le châssis qu’elle portait sur son dos, puis ils reprirent en sens inverse le chemin par lequel ils étaient arrivés. Personne ne parlait beaucoup, ils se contentaient de regarder à nouveau les animaux devant lesquels ils passaient. Avant d’atteindre l’entrée, ils remarquèrent combien la lumière pénétrait profondément dans la caverne. À l’entrée, Jonokol s’arrêta.

— Veux-tu me reconduire dans cette vaste salle ? demanda-t-il à la Gardienne.

— Bien sûr, répondit-elle sans lui demander pourquoi.

Elle le savait.

— J’aimerais bien t’accompagner, Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne, dit Ayla.

— Cela me ferait aussi plaisir. Tu pourras tenir ma torche, dit-il en souriant.

C’était la Gardienne qui avait trouvé la Grotte Blanche et il était la première personne à qui elle la montrait. Il savait qu’il allait peindre sur ces belles parois, bien qu’il eût peut-être besoin d’aide pour cela. Ils repartirent tous trois dans la deuxième salle de la Caverne de l’Ours pendant que les autres sortaient à l’air libre. La Gardienne leur fit suivre un trajet plus court ; elle savait où le conduire : à l’endroit qu’il avait regardé à leur arrivée dans cette partie de la grotte. Il trouva le renfoncement à l’écart et l’ancienne concrétion.

Après avoir sorti un couteau en silex, il se dirigea vers la stalagmite surmontée d’une cuvette et à sa base, d’un geste sûr, il grava le front, les naseaux, la bouche, la mâchoire, la joue, puis deux lignes vigoureuses pour la crinière et le dos d’un cheval. Il regarda l’esquisse un moment, puis grava au-dessus du premier la tête d’un deuxième cheval, tournée de l’autre côté. La roche était un peu plus dure à cet endroit et la ligne du front ne fut pas aussi précise, mais il revint sur l’ouvrage et traça les poils de la crinière à intervalles assez grands. Puis il se recula pour contempler son œuvre.

— J’avais envie d’ajouter quelque chose à cette grotte, mais je ne savais trop si je devais attendre que la Première ait entonné le Chant de la Mère dans les profondeurs de la grotte, expliqua le Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne des Zelandonii.

— Je t’ai dit que la Mère en déciderait et que tu saurais, dit la Gardienne. Maintenant, je sais. C’était opportun, remarqua-t-elle.

— C’est ce qu’il fallait faire, confirma Ayla. Peut-être est-il temps que je cesse de t’appeler Jonokol et que je commence à dire « Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne ».

— Devant tout le monde peut-être, mais entre nous j’espère que je serai toujours Jonokol et toi Ayla.

— Je le souhaite aussi, dit Ayla avant de se tourner vers la Gardienne. Dans mon esprit, tu es la Gardienne, mais si ça ne te fait rien, j’aimerais connaître le nom que tu portais à la naissance.

— On m’a appelée Dominica et, pour moi, tu resteras toujours Ayla quoi qu’il arrive, même si tu deviens la Première.

Ayla secoua la tête.

— C’est peu probable. Je suis étrangère et j’ai un accent bizarre.

— Peu importe. Nous reconnaissons la Première ou le Premier pour ce qu’ils sont, même si nous ne les connaissons pas. Et j’aime bien ton accent. Il te rend distincte des autres, comme doit l’être Celle Qui Est la Première, dit Dominica avant de les conduire hors de la grotte.

 

 

Toute la soirée Ayla songea à cette caverne extraordinaire. Il y avait tant à voir, à comprendre, qu’elle aurait aimé y retourner. Ils parlaient de ce qu’il convenait de faire avec Gahaynar, alors qu’elle ne cessait de revenir à la grotte par la pensée. Gahaynar paraissait se remettre des coups reçus. Il allait en conserver des cicatrices le restant de ses jours, mais ne semblait pas en vouloir à ceux qui l’avaient rossé. Il semblait plutôt reconnaissant, non seulement d’être encore en vie mais aussi du fait que les Zelandonia prenaient soin de lui.

Il connaissait ses forfaits, même s’il était seul dans ce cas ; Balderan et les autres n’avaient pas fait bien pire et ils étaient morts. Il ignorait pourquoi il avait été épargné, si ce n’est que, tandis que Balderan projetait de tuer l’étrangère, il avait prié dans son for intérieur la Mère de le sauver. Il savait qu’ils ne s’échapperaient pas et ne voulait pas mourir.

— Il semble vouloir sincèrement réparer ses torts, dit Zelandoni Première. Peut-être parce qu’il sait maintenant qu’on peut lui faire payer ses actions, la Mère paraît décidée à l’épargner.

— Quelqu’un sait-il dans quelle Caverne il est né ? s’enquit la Première. A-t-il de la famille ?

— Oui, il a sa mère, répondit l’un des autres Zelandonia. Je ne lui connais pas d’autre parent. Je crois qu’elle est très vieille et perd la mémoire.

— Voilà donc la solution, dit la Première. Il faut le renvoyer dans sa Caverne pour qu’il s’occupe de sa mère.

— Mais en quoi réparera-t-il ainsi ses torts ? C’est sa mère, fit remarquer un autre Zelandoni.

— La tâche ne lui sera pas nécessairement facile si l’état de sa mère continue de se détériorer. Cela épargnera à sa Caverne de prendre soin d’elle et donnera à Gahaynar quelque chose à faire de louable. Il n’y a sans doute jamais songé au côté de Balderan, en prenant ce qu’il voulait sans avoir à travailler. Il faut l’obliger à travailler, à chasser pour son compte ou du moins à participer aux chasses communautaires de sa Caverne, et à subvenir lui-même aux besoins de sa mère.

— J’imagine que s’occuper d’une vieille femme, même si c’est sa mère, n’est pas le genre de choses qu’un homme aime faire, dit l’autre Zelandoni.

Ayla n’avait écouté qu’à moitié, mais elle avait saisi l’essentiel et trouva l’idée bonne. Elle se remit ensuite à penser au Site Sacré le Plus Ancien. Elle décida finalement de retourner dans la caverne le lendemain ou le surlendemain, seule ou peut-être avec Loup.

 

 

Le lendemain en fin de matinée, Ayla demanda à Levela de bien vouloir veiller une nouvelle fois sur Jonayla et s’assura que la viande de bison qu’elle avait accrochée sur les fils séchait correctement. Elle estima que le moment était bien choisi pour revoir le Site Sacré.

— J’emmène Loup et je retourne à la grotte. Je veux la voir encore une fois avant de partir. Qui sait quand nous reviendrons, peut-être jamais.

Elle empaqueta plusieurs torches et deux lampes de pierre ainsi que des mèches en lichen et des sections d’intestin remplies de graisse qu’elle plaça dans un petit sac en cuir doublé. Elle vérifia qu’elle avait tout le nécessaire pour faire du feu : pierre à feu et silex, amadou, petit bois et quelques bûchettes. Elle remplit son outre et prit une tasse pour elle et un bol pour Loup. Elle emporta aussi son sac à médecines avec quelques sachets de tisane supplémentaires, même si elle ne pensait pas préparer des infusions dans la grotte, un bon couteau, quelques vêtements chauds, mais rien pour se chausser. Elle marchait pieds nus habituellement et ses plantes de pied étaient presque aussi dures que des sabots.

Elle siffla Loup et s’engagea dans le sentier menant à la caverne. À l’entrée, elle jeta un coup d’œil à l’abri. Aucun feu n’avait été allumé dans le foyer et l’endroit où dormait la Gardienne était désert. Absente ce jour-là. On l’avertissait généralement de la venue des visiteurs, mais Ayla avait décidé d’y aller sans prendre de dispositions préalables.

Elle fit un petit feu dans le foyer et alluma une torche, puis, la tenant à bout de bras, elle se mit en marche et fit signe à Loup de la suivre. Elle constata une fois encore à quel point la caverne était vaste et les premières salles chaotiques. Des colonnes de pierre détachées du plafond et renversées, d’énormes blocs de roche et des éboulis jonchaient le sol. La lumière pénétrait assez loin à l’intérieur et elle emprunta le même chemin que la première fois, sur la gauche puis tout droit dans l’immense salle où venaient dormir les ours. Loup restait à son côté.

Elle longea le côté droit du passage, sachant qu’en dehors de la vaste salle à main droite qu’elle projetait de visiter au retour il n’y avait pas grand-chose à voir avant d’arriver à mi-longueur de la caverne. Elle n’envisageait pas de rester trop longtemps dans la grotte ni d’essayer de tout revoir. Elle entra dans la salle aux ours et suivit la paroi droite jusqu’à la salle suivante, puis se mit à la recherche de l’épais rocher en forme de lame suspendu au plafond.

Il était tel qu’elle se le rappelait, orné du léopard à longue queue et de l’autre animal peint en rouge. Était-ce une hyène ou un ours ? La forme de la tête lui donnait l’allure d’un ours des cavernes, mais le museau était plus long et la touffe sur le dessus de la tête ainsi que l’espèce de crinière faisaient plutôt songer aux poils raides de la hyène. Aucun des autres ours représentés dans cette caverne n’avait de longues pattes fines, il suffisait de regarder celui qui était peint au-dessus de l’autre animal.

Je ne sais pas ce que l’artiste voulait dire dans cette peinture, pensa-t-elle, mais à mon avis cela ressemble bien à une hyène, bien que ce soit la seule que j’aie jamais vue représentée dans une grotte. Mais je n’ai jamais vu non plus de léopard. Il y a là un ours, une hyène et un léopard, tous trois des animaux forts et dangereux. Je me demande ce que les conteurs itinérants diraient de cette scène ?

Ayla passa sans s’attarder devant la série suivante de peintures : des insectes sans doute, une succession de rhinocéros, de lions, de chevaux et de mammouths, des signes, des points, des empreintes de main ; le dessin en rouge du petit ours, si semblable aux autres ours de la caverne mais de taille plus réduite, la fit sourire. Elle se souvint qu’à cet endroit la Gardienne avait tourné à gauche et continué de longer la paroi droite. L’espace suivant témoignait de la présence d’ours des cavernes et le sol était plus bas de plus d’un mètre cinquante ; il menait à la salle d’après, celle qui était creusée d’une profonde dépression en son centre.

C’était la salle où tous les dessins ou gravures étaient en blanc, la couche tendre de vermiculite marron clair ayant été grattée pour atteindre la roche blanche sous-jacente. Parmi toutes ces gravures, elle remarqua particulièrement le rhinocéros émergeant d’une fissure et resta là à le contempler. Pourquoi les Anciens peignaient-ils ces animaux sur les parois des cavernes ? se demanda-t-elle. Pourquoi Jonokol a-t-il voulu dessiner deux chevaux dans la salle voisine de l’entrée de la grotte ? Quand il l’a fait, il n’avait pas l’esprit ailleurs, comme les Zelandonia qui buvaient leur infusion dans le Site Sacré de la Septième Caverne des Zelandonii de la Partie Sud. Les artistes ne seraient sans doute pas capables d’exécuter des peintures aussi remarquables s’ils n’étaient pas concentrés sur l’ouvrage. Il leur fallait penser à ce qu’ils faisaient.

Peignaient-ils pour eux-mêmes ou pour montrer leurs œuvres ? À qui ? Aux autres membres de leur Caverne ou aux autres Zelandonia ? Les grandes salles de certaines cavernes pouvaient héberger un grand nombre de gens et des cérémonies s’y déroulaient parfois, mais beaucoup de ces peintures se trouvaient dans des petites grottes ou dans des espaces réduits de grottes plus vastes. Elles avaient dû être exécutées pour elles-mêmes, devaient avoir leur raison d’être. Les artistes étaient-ils en quête de quelque chose dans le monde spirituel ? Peut-être de leur esprit animal, comme son lion totémique, ou d’un esprit animal qui les rapprocherait de la Mère ? Chaque fois qu’elle interrogeait Zelandoni à ce propos, elle n’obtenait jamais de réponse satisfaisante. Était-elle censée la trouver toute seule ?

Loup ne s’éloignait pas et longeait la paroi suivie par Ayla. Elle portait la seule lumière qu’il y avait dans toute cette caverne noire comme un four, et même si les sens de l’animal autres que la vue lui apportaient plus d’informations sur son environnement que la clarté de l’unique torche, il aimait aussi y voir.

La hauteur de plafond en nette diminution l’avertit qu’elle était arrivée dans la partie suivante de la caverne. Les mammouths, bisons, cerfs représentés sur les parois et les roches suspendues étaient plus nombreux, certains gravés en blanc, d’autres peints en noir dans un coin. C’était la salle où un crâne d’ours des cavernes trônait sur un rocher plat et Ayla retourna le voir. Elle resta là un moment, songeant de nouveau à Creb et au Clan, avant de continuer la visite. Des talus d’argile grise semblaient entourer cette salle ; elle grimpa dessus pour gagner la dernière salle, celle où la Première n’était pas entrée. Elle remarqua des empreintes d’ours sur l’argile, qu’elle n’avait pas vues la première fois. Deux hautes marches l’amenèrent dans l’autre salle.

Elle se retrouva au milieu, le plafond étant trop bas sur le pourtour pour se tenir debout. Elle estima qu’il était temps d’allumer une autre torche, frotta celle qu’elle avait déjà, presque entièrement consumée, contre le plafond pour l’éteindre. Puis elle en fourra le bout restant dans le châssis qu’elle portait sur le dos. Il lui fallut se baisser pour continuer à suivre le sentier naturel ; à la base d’une roche suspendue, elle aperçut une rangée horizontale de sept points rouges à côté d’une série de noirs. Au bout d’une dizaine de mètres, elle put à nouveau se tenir droite.

Plusieurs marques noires montraient que d’autres avaient raclé leurs torches à cet endroit. À l’arrière, le plafond s’inclinait vers le sol. Il était recouvert d’une fine couche jaunâtre de pierre ramollie qui avait formé des vermiculures. Sur ce plan incliné, on avait esquissé un cheval avec deux doigts. L’artiste avait dû se tenir la tête penchée en arrière pour travailler et n’avait pas pu avoir une vue d’ensemble de l’esquisse pendant son exécution. Elle était légèrement disproportionnée, mais c’était le tout dernier dessin de la caverne. Ayla remarqua aussi deux mammouths ébauchés sur le plafond incliné.

Tout en se retournant pour rebrousser chemin, elle se demanda un instant s’il n’y avait pas moyen de sortir de la caverne de ce côté-là. Tandis qu’elle marchait plus près de la paroi, suivie de Loup, elle sentit ses pieds s’enfoncer dans l’argile froide du sol. En sortant de la dernière salle, la paroi qui s’était trouvée sur sa droite était maintenant sur sa gauche. Elle passa devant le panneau des mammouths, puis arriva à celui des chevaux peints en noir qu’elle voulait revoir.

Elle examina la paroi plus attentivement cette fois-ci. La couche d’argile brune avait été grattée sur une grande partie du panneau pour dégager la roche calcaire blanche. La coloration noire produite par du charbon de bois était plus foncée à certains endroits, plus claire à d’autres, pour que les chevaux et les autres animaux aient l’air plus vivants. Elle avait été attirée par les chevaux, mais les premiers animaux sur le panneau étaient des aurochs. Les lions à l’intérieur de la niche la firent encore sourire. Ce jeune mâle ne plaisait décidément pas à la femelle, assise et résolue à ne pas bouger de là !

Ayla longea lentement la paroi peinte et arriva à l’entrée d’une longue galerie qui menait à la dernière salle, où elle vit le cervidé géant peint tout en haut. C’était là aussi que les foyers à charbon de bois s’alignaient le long de la paroi. Le passage commençait à descendre. En franchissant la dernière dénivellation importante et en arrivant à la dernière salle, elle ralentit encore le pas. Elle adorait les lions, peut-être parce qu’ils étaient son animal totémique, et ceux-là étaient d’un grand réalisme. Elle arriva au bout et examina la dernière roche suspendue, celle dont la forme évoquait un organe sexuel masculin. Une vulve était peinte dessus, avec des jambes humaines, et la créature était mi-bison, mi-lion. Elle avait la certitude que l’on avait voulu raconter une histoire. Elle tourna finalement les talons et revint sur ses pas ; à l’entrée de la salle, elle s’arrêta et regarda autour d’elle.

Elle voulait garder le souvenir du chant de la Première dans la caverne. Elle ne savait pas chanter, mais sourit en pensant à ce qu’elle était capable de faire. Elle pouvait rugir comme elle l’avait fait, la première fois qu’elle était venue là. À l’exemple des lions, elle se mit en voix avant de laisser échapper son rugissement, le meilleur dont elle était capable – Loup eut même un mouvement de recul.

 

 

Ils avaient prévu de prendre le chemin du retour tôt, mais Amelana commença à avoir des contractions de bon matin et, évidemment, les Zelandonia en visite ne purent partir. Le soir, elle donna naissance à un beau bébé, un garçon, et sa mère prépara un repas du soir pour célébrer sa naissance. Ils ne partirent que le lendemain matin et les adieux furent assez mélancoliques.

La composition du groupe de voyageurs avait changé. Maintenant que Kimeran, Beladora et les deux enfants étaient partis et qu’Amelana ne les accompagnait plus, ils se comptaient onze et il leur fallut s’organiser différemment. Jonayla n’avait plus que Jonlevan, d’un an son cadet, avec qui jouer, et ses amis lui manquaient. Jondecam regrettait Kimeran, son oncle, qui était pour lui plus comme un frère, et il ne s’était pas rendu compte jusque-là à quel point ils s’entendaient bien quand ils travaillaient ensemble. La pensée qu’il ne le reverrait peut-être plus jamais l’attristait. Les seules femmes étaient Ayla, Levela et la Première ; l’absence de Beladora leur était pénible et les facéties de la jeune Amelana leur manquaient. Il leur fallut un certain temps pour reprendre plaisir au quotidien.

Ils suivirent la rivière vers l’aval et, parvenus à son confluent avec le cours d’eau plus important, ils longèrent celui-ci vers le sud. Ils aperçurent la Mer Méridionale un jour entier avant d’y arriver, mais le panorama ne se limitait pas à la vaste étendue marine. Ils virent des troupeaux de rennes, de mégacéros, une multitude de mammouths femelles avec leurs petits de tous âges, et une bande de rhinocéros laineux. Ils assistèrent aussi aux prémices du rassemblement de divers ongulés, comme l’aurochs et le bison, à l’approche de l’hiver, moment où des milliers de ces animaux se réunissaient pour se battre et s’accoupler. Les chevaux se dirigeaient vers leurs pâturages hivernaux. Une brise fraîche venait du large ; la Mer Méridionale était une mer froide et en regardant cette étendue d’eau glacée Ayla se rendit compte que le changement de saison approchait.

Ils trouvèrent les marchands dont Conardi avait parlé, et Conardi lui-même. Il fit les présentations et les paniers d’Ayla eurent beaucoup de succès auprès des commerçants. Pour des gens comme eux, qui transportaient des marchandises, des emballages bien faits étaient indispensables. Une fois le camp dressé, Ayla passa la première soirée à fabriquer d’autres paniers. Les pointes et outils en silex de Jondalar furent aussi très appréciés. Le savoir-faire et l’expérience de Willamar en matière de troc se manifestèrent. Il forma une sorte de guilde, dont Conardi fit partie.

Il proposait des articles complémentaires, par exemple de la viande séchée et le panier pour la transporter. Il fit l’acquisition d’un grand nombre de coquillages pour confectionner des perles et fut content d’avoir des paniers d’Ayla pour les ranger. Il se procura aussi du sel pour Ayla, un collier pour Marthona, fait par l’un des ramasseurs de coquillages, et d’autres articles dont il ne parlait pas à tout le monde.

Une fois les échanges terminés, ils prirent le chemin du retour. Ils se déplaçaient plus vite qu’à l’aller. D’une part, ils connaissaient le trajet et n’avaient pas à s’arrêter pour visiter des cavernes peintes. D’autre part, le changement de temps imminent les incitait à ne pas traîner. De plus, ils avaient d’importantes provisions et n’étaient donc pas dans l’obligation de chasser aussi souvent. Ils retournèrent cependant voir Camora. Elle fut très déçue d’apprendre que Kimeran avait changé ses projets et séjournait avec les proches de sa compagne. Elle et Jondecam parlèrent de lui comme s’il était parti pour de bon, jusqu’à ce que la Première leur rappelle qu’il avait l’intention de revenir.

Il fallut attendre encore en arrivant à la Grande Rivière car une tempête rendait la traversée trop difficile. Ils étaient anxieux à l’idée de rester bloqués du mauvais côté de la rivière pour la saison. La tempête prit fin et ils effectuèrent la traversée, bien que le cours d’eau fût encore agité. Il leur fallut remonter à pied vers l’amont parce qu’il n’y avait pas de radeaux.

Quand ils aperçurent enfin l’énorme abri de pierre qu’était la Neuvième Caverne, ils distinguèrent également les sentinelles postées là pour les guetter et un feu fut allumé pour signaler leur arrivée. Presque toute la communauté de la Caverne vint à leur rencontre.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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